Les opposants à la loi Duplomb, adoptée au Parlement début juillet, ont obtenu une victoire partielle. Le Conseil constitutionnel a censuré, dans un avis attendu rendu le 7 août 2025, la très controversée disposition prévoyant la réintroduction sous conditions d'un pesticide de la famille des néonicotinoïdes, l’acétamipride. interdit depuis 2018 en France mais autorisé ailleurs en Europe. Les autres dispositions du texte sont en revanche validées, malgré des réserves sur la construction d'ouvrages de stockage d'eau.
La réintroduction de l’acétamipride a cristallisé l’opposition au texte, mobilisant contre elle une grande partie de la communauté scientifique et médicale. Plusieurs sociétés savantes, rejointes par des associations de patients, ont notamment dénoncé, dans une tribune publiée le 29 juillet dans Le Monde, « une loi dangereuse pour la santé de nos concitoyens » et incompatible avec le principe de précaution inscrit dans la Charte de l'environnement.
Les sociétés savantes ont également soumis une contribution extérieure au Conseil, pointant notamment un « recul significatif en matière de protection de la santé publique ». Le Conseil national de l’Ordre des médecins a quant à lui jugé, dans un communiqué publié le 30 juillet, que « le doute n’est pas raisonnable lorsqu’il s’agit de substances susceptibles d’exposer la population à des risques majeurs : troubles neurodéveloppementaux, cancers pédiatriques, maladies chroniques ».
Une réintroduction jugée contraire à la Charte de l'environnement
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel reprend ces arguments. Les hauts magistrats rappellent que les néonicotinoïdes « ont des incidences sur la biodiversité, en particulier pour les insectes pollinisateurs et les oiseaux » et « induisent des risques pour la santé humaine ». Ils expliquent dans un communiqué que « faute d'encadrement suffisant », cette mesure est contraire au « cadre défini par sa jurisprudence, découlant de la Charte de l'environnement », charte qui a valeur constitutionnelle.
Une dérogation temporaire à l’interdiction de 2018 avait été accordée par le Conseil en 2020, mais cantonnée à la filière des betteraves et à l'enrobage des semences. Cette fois, la dérogation est censurée faute de limite dans le temps et de mention des filières concernées. Autre argument mobilisé par le Conseil, la mention dans la loi de la pulvérisation, alors que la technique présente des risques élevés de dispersion des substances.
Des associations de lutte contre le cancer et plusieurs médecins ont salué dès sa publication la décision du Conseil constitutionnel. « Nous sommes très attachés à ce qu'en termes d'exposition à des produits potentiellement dangereux, il faille respecter conformément à la Constitution le principe de précaution, puisqu'il ne s'agit ni plus ni moins que de la santé de nos concitoyens et de la prévention à des graves maladies potentielles », a réagi auprès de l’AFP le vice-président de l’Ordre des médecins, Jean-Marcel Mourgues.
« Cette décision élève les enjeux au-delà du seul acétamipride qui cristallise aujourd’hui les débats (...), puisque ce texte donnait aussi et surtout un blanc-seing à de futures dérogations pour d’autres néonicotinoïdes », estime la Ligue contre le cancer, dans un communiqué. « Ce qu’il faut retenir, c’est que la santé publique ne peut pas faire l’économie d’un débat éclairé par la science », souligne la Pr Francelyne Marano, présidente du comité de pilotage cancer et environnement de la Ligue.
Des études en cours sur le rôle perturbateur endocrinien ou neurotoxique de l’acétamipride
Initiateur de la loi, le sénateur Laurent Duplomb (LR) n’a pas exclu un nouveau texte pour réintroduire l’acétamipride, tenant compte des critères imposés par les hauts magistrats. Le Conseil « nous donne les éléments qui pourraient permettre, avec un nouveau texte, de trouver des solutions pour pouvoir peut-être réintroduire » le pesticide controversé, a-t-il indiqué sur RMC ce 8 août.
Interrogé ce même jour sur France Inter, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a lui annoncé demander « une réévaluation par les autorités sanitaires européennes sans délai de l'impact sanitaire de l’acétamipride ». Et d’ajouter : « S’il y a un impact sur la santé humaine, il faudra naturellement interdire ce produit puisque je vous rappelle que le Conseil constitutionnel a, pour l'instant, retoqué sur des données de santé animale et d'impact environnemental ». Rappelant que des études sont en cours sur le rôle perturbateur endocrinien potentiel ou neurotoxique de l’acétamipride, le ministre a jugé « normal que la communauté scientifique, au même titre que le Conseil de l’Ordre, alerte », mais, poursuit-il, « c'est l'Anses qui prend ses décisions et qui fait des propositions d'interdiction ».
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a justement été l’objet d’un décret, publié au Journal officiel deux jours après l’adoption de la loi Duplomb, qui entame son indépendance. Désormais, « le directeur de l’agence » devra « tenir compte » d’un arrêté du ministère de l’agriculture définissant « la liste des usages » de pesticides ayant pour objet de lutter contre des ravageurs de cultures ou des végétaux indésirables. L’Anses devra donc se pencher sur les demandes d’autorisation de pesticides selon une liste d’usages jugés « prioritaires » par le ministère de l’agriculture. Ce décret reprend ainsi l’idée d’une disposition retirée du projet de loi initial pour permettre son adoption. Un recours de l’ONG Agir pour l’environnement a été déposé devant le Conseil d’État.
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