En psychiatrie, des interventions non médicamenteuses innovantes émergent en complément des prises en charge existantes. Tel est le cas au Jardin des mélisses, au cœur du parc du pôle psychiatrie du CHU de Saint-Étienne, qui, depuis sa création, ne cesse de rayonner dans de multiples dimensions apportant bien-être aux patients mais aussi à leur entourage et aux soignants.
Le jardin, devenu lieu de relations, contribue à changer le regard sur les soins dispensés en psychiatrie et participe plus globalement à l’amélioration de l’environnement des lieux de soins.
Un lieu accessible à tous les patients
Matin d’avril au pôle psychiatrie du CHU de Saint-Étienne. Deux patients se promènent dans le parc, les arbres y sont en fleur. Plus loin, une patiente et sa fille adolescente, en visite, observent les branches se balançant au vent. Soudain, un petit groupe pénètre au cœur du jardin, un espace ouvert sur le grand parc arboré, où poussent légumes, fleurs et fruits dans des carrés délimités : la médiation « Jardin thérapeutique » débute.
Amandine, infirmière qui dédie son temps au jardin deux jours par semaine, accompagnée d’un infirmier de service, anime la séance. Ensemble, ils proposent aux patients de désherber, bouturer dans la serre, planter en pleine terre ou arroser. Chacun agit suivant son intérêt, certains s’y mettent à plusieurs, les nouveaux sollicitant l’expertise des plus anciens, parfois en prenant un temps d’observation sous la tonnelle. Les infirmiers adaptent les gestes, veillent à l’usage des outils, aident à l’organisation, prennent soin de chacun dans ce petit collectif qui évolue à chaque atelier.
« C’est toute l’originalité de ce jardin en psychiatrie de mêler une utilisation ouverte à tous les patients, à tout moment de leur hospitalisation quand leur état clinique le permet, et une intervention non médicamenteuse complémentaire reconnue », souligne le Dr Romain Pommier, psychiatre qui, dix ans plus tôt, alors interne dans le service, a porté la création de cet espace. « Avant, il n’y avait que quelques arbres sur une pelouse désolée, personne ne traversait ce lieu. Aujourd’hui, le Jardin des mélisses est accessible aux patients des sept services du pôle de psychiatrie adulte du CHU et accueille des séances de médiation pour un groupe de six personnes maximum. L’équipe infirmière et le psychiatre proposent une fiche d’indication médicale, individualisée pour chaque patient, ciblant les points forts à renforcer et les points faibles à soutenir », s’enthousiasme-t-il.
Recherche académique sur les effets bénéfiques du jardinage
Dès 2014, plusieurs soignants soumettent le projet de recherche « Étude de l’impact de la médiation par le jardin de soins sur l’état anxieux de patients adultes, hospitalisés en psychiatrie ». Sélectionné, ce programme hospitalier pour la recherche infirmière et paramédicale (PHRIP) accompagne la création du jardin. « Nous nous sommes lancés dans une étude prospective monocentrique, contrôlée, randomisée comparant le groupe hortithérapie (n = 106), avec médiation jardin deux fois par semaine en plus de la prise en charge courante, au groupe contrôle (n = 105) avec uniquement la prise en charge habituelle. Un challenge dans la durée pour nous tous », se remémore Blandine Jankowski-Cherrier, cadre de santé du pôle et pionnière du projet.
« En 2024, les résultats sont publiés ! L’étude a démontré l’impact positif de l’hortithérapie sur la baisse de l’anxiété chez les patients adultes hospitalisés en psychiatrie », se félicite Laure Teyssier, infirmière-chercheuse.
Retrouver le pouvoir d’agir
Les feuilles d’autoévaluation incluant une échelle des émotions avant/après révèlent de nombreux aspects positifs : apaisement de l’angoisse, amélioration de l’humeur, mise à distance des symptômes, impression de « reprendre pied », sentiment d’être capable et fier de soi, sensation de liberté et de ne plus être enfermé dans son statut de malade.
« Dans le domaine de la santé mentale, et surtout dans celui des troubles psychiques, le rétablissement correspond au cheminement de la personne pour retrouver le pouvoir d’agir, de décider et trouver sa place dans la société malgré la présence et l’impact de la maladie. Le jardin de soins favorise pleinement ce processus, en soutenant les compétences, l’estime de soi et la capacité d’agir », appuie le Dr Pommier.
Le bien-être apporté par le contact avec le vivant occupe aussi une place importante. « Je pensais partir en clinique. Mais déambuler dans un jardin, très beau, m’a apporté du positif ; j’ai senti que c’est ici que je devais être et j’ai eu envie de donner au jardin ce qu’il m’a apporté », décrit une patiente hospitalisée pour dépression profonde. Le vécu de la relation en intimité avec la nature (biophilie) conduit à prendre soin du monde vivant et à être attentif à l’environnement.
Dans le service d’addictologie, le jardin thérapeutique est rapidement devenu un lieu idéal pour les patients en sevrage. « L’intérêt du jardin pour les comorbidités psychiatriques (dépression, trouble anxieux) est manifeste, souligne le Dr Théau Bayard, psychiatre-addictologue. Il est devenu un outil de régulation émotionnelle, de gestion des angoisses relatives au sevrage. La fréquentation du jardin va à rebours de l’impulsivité de la recherche de sensation et apaise l’intolérance à l’ennui. »
Une autre relation soignant-soigné
« Il n’y a pas qu’aux patients que le jardin fait du bien. Aux soignants aussi ! », ajoute Blandine, qui connaît l’importance de la gestion de la qualité de vie professionnelle des soignants en psychiatrie. Dans cet espace sans contraintes, s’épanouit une nouvelle relation soignant-soigné, plus horizontale et plus coopérative. Lorsqu’un patient est angoissé, il n’est pas rare qu’un soignant l’accompagne dans le jardin pour l’apaiser.
Tout au long de l’année, été comme hiver, les médiations accueillent les patients. « On ne va pas laisser mourir ce que l’on a planté ! », s’exclame Amandine. Et Romain Pommier de conclure : « Nous visons à accompagner la poursuite des progrès acquis au Jardin des mélisses à l’extérieur de l’hôpital en proposant des activités dans des jardins partagés de Saint-Étienne. » Une ouverture de l’hôpital sur la ville…
En addictologie, le jardin « Les portes de l’imaginaire »
Près de Saint-Étienne, dans les monts du Forez, la communauté thérapeutique en addictologie Les portes de l’imaginaire offre un espace de vie à 25 résidents pour leur permettre d’expérimenter l’abstinence et de développer leurs parcours sur un temps long (deux ans). La structure possède une ancienne ferme forésienne entourée d’un immense jardin.
« Chacun a une responsabilité, c’est un outil du commun, pour reprendre le pouvoir d’agir. Si l’arrosage fait défaut ou que les animaux ne sont pas nourris, c’est le sens du projet commun qui est mis à mal. Pour les personnes accueillies, il y a plus de sens à faire pour les autres que pour soi », pointe l’éducatrice Sophie Darneix, cheffe de service. « J’ai commencé en étant responsable de l’arrosage, se remémore Charlotte, une résidente. Puis j’ai eu envie d’essayer de planter un légume. J’ai appris auprès des autres. Et ce n’est pas grave si ce n’est pas moi qui le cueillerai. »
Pour les professionnels encadrant les activités, l’apparition d’un désir est un très bon signe. Ils accompagnent l’invention de nouvelles responsabilités chez des personnes qui, en arrivant, ont une faible autonomie et se trouvent dans un isolement social important. « Par le jardin, l’ego s’estompe, en acceptant que d’autres viennent travailler sur la parcelle, en se décalant de l’individualisme », observe Sophie.
Ici, pas de logique de production, qui risquerait de prendre le pas sur ce que doivent vivre les résidents. « J’ai retrouvé le goût des légumes et des fruits ! Je fais de nouveau attention à ma façon de manger et j’ai du respect pour le vivant, la nature », relate Charlotte en contemplant le jardin.
En savoir plus :
DU Santé et jardins, prendre soin par la relation avec la nature, à la faculté de médecine de Saint-Étienne
Formations recensées sur le site de la Fédération française Jardins, nature et santé
Annuaires des soins résidentiels en addictologie sur le site de la fédération Addiction
« L’équilibre du jardinier : renouer avec la nature dans le monde moderne », Dr Sue Stuart-Smith, Albin Michel, 2021. La psychiatre psychanalyste enseigne à la Tavistock Clinic de Londres. Avec son mari, Tom Stuart-Smith, paysagiste, ils ont créé le magnifique Barn Garden, dans le Hertfordshire.
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