Depuis quatre ans, l’Assurance-maladie s’oppose à des dizaines de médecins généralistes et spécialistes sur l’affaire du Dipa, acronyme de la discorde entre la tutelle et les syndicats de professionnels libéraux. Les Drs Richard Talbot et Renaud Miller, généralistes dans la Manche et dans la Marne, par ailleurs membres de la FMF et de l’UFML, se sont frottés au Dipa et à leur caisse primaire. Ils ont perdu.
Retour en arrière, plus précisément en pleine période du premier confinement. Le Dipa, c’est un dispositif d'indemnisation pour perte d'activité que la Cnam a déployé en 2020 pour parer à l'urgence et permettre aux professionnels de santé libéraux dont l'activité s'effondrait à cause du premier confinement de pouvoir faire face à leurs charges fixes. Ce printemps-là, l’Assurance-maladie a versé à 70 000 médecins libéraux, généralistes et spécialistes, respectivement 3 500 euros et 9 000 euros en moyenne d'avance, puis un complément en fin d'année de respectivement 400 euros et 2 400 euros. Montant total de l’aide financière apportée aux libéraux : 1,1 milliard d'euros.
Souci : les CPAM consolident dans un second temps leurs calculs et vérifient les déclarations des médecins. Un décret que bon nombre de médecins qualifient aujourd’hui de « scélérat » vient remettre de l’ordre dans les comptes. Globalement, la caisse ne s’y retrouve pas de quelque 140 millions d’euros. Côté médecins, beaucoup ont sous-déclaré leurs honoraires de 2019 (la base de calcul pour la compensation) et se voient offrir un petit pécule en plus à la suite de cet ajustement. Mais d’autres, qui avaient aux dires des Cpam surdéclaré leur activité se sont retrouvés avec des notifications d’indus – et les demandes de remboursement qui vont avec. Ils seraient 25 000 dans ce cas, parfois avec quelques centaines d’euros à rembourser, parfois plusieurs milliers.
« Être considéré comme un escroc, ça ne passe pas »
C’est le cas du Dr Richard Talbot et de sa femme, également médecin. À eux deux, la tutelle a réclamé 4 000 euros d’indus. Le médecin, expert des questions juridiques pour la FMF qui a été concerté par le directeur général de la Cnam d’alors, Nicolas Revel, sur la construction du Dipa, a contesté la demande de sa Cpam par tous les moyens juridiques jusqu’à aller en justice. Le 5 août, son tweet laconique a annoncé le résultat des courses.
Contacté par le Quotidien, le Dr Talbot, pourtant sur la route des vacances, ne laisse transparaître aucune joie dans sa voix. La désillusion prend encore trop de place. « Être considéré comme un escroc, ça ne passe pas », souffle-t-il. « Désabusé sur la manière dont on […] traite » les médecins libéraux, le généraliste normand reproche à l’Assurance-maladie son manque de « fair-play » dans toute cette histoire. « Pendant le covid, on a travaillé, on y a laissé des plumes, des médecins sont morts. On nous compense nos charges – très bien – mais pour ensuite nous les reprendre sur la base d’une argutie juridique totalement incompréhensible ? Ça ne donne vraiment pas envie de s’investir davantage dans ce métier. »
Rire jaune
Dans la voix du Dr Renaud Miller, l’agacement prime le désenchantement. Le généraliste marnais a lui aussi perdu face à la caisse devant le tribunal judiciaire de Reims, en novembre 2022. Montant de la douloureuse : 1 453 euros de trop-perçu (sur un Dipa total de 4 000 euros après recalculs). Comme le Dr Talbot, il paiera : « Il faut comprendre que notre contestation n’est pas d’ordre pécuniaire, insiste-t-il. Les 1 500 euros, je vais les rembourser. Mais quand on sait le fond de l’histoire, tout de même, ça fait un peu mal, et ça me fait dire que quoi qu’on fasse, l’État a toujours raison. »
L’amertume du Dr Miller vient du fait qu’il fait partie des médecins qui ont sous-déclaré leurs honoraires au moment ou la caisse leur a demandé de remplir le formulaire de Dipa. « Le document était déjà prérempli, se souvient le généraliste. La somme de la compensation me paraissait énorme. J’ai donc minoré. Un an plus tard, on me demandait le remboursement en m’expliquant que les règles de calculs avaient été revues. Changer les règles du jeu en cours de route : franchement, c’est inadmissible. »
Comme son confrère normand, le Dr Miller n’a pas fait appel. Pas assez de temps, pas assez d’énergie, sans compter les frais d’avocat, loin d’être gratuits. « Et puis, je suis déjà en conflit avec ma caisse sur la Rosp, je ne vais peut-être pas en ajouter une couche », préfère-t-il en rire. Jaune.
L’Académie de médecine veut assouplir les accès directs à certains spécialistes pour réduire les délais
Les maillages départementaux, échelons intermédiaires indispensables de l’attractivité médicale
L’obligation de solidarité territoriale pour les médecins effective « dès septembre », confirme Yannick Neuder
« Les syndicats sont nostalgiques de la médecine de papa », tacle Dominique Voynet, seule médecin ayant voté la loi Garot