LE QUOTIDIEN : Quelles sont les vulnérabilités du système de santé repérées par Oxfam, ONG qui lutte contre la pauvreté et les inégalités ?
Robin Ehl : Le risque climatique est réel sur l’ensemble du parc hospitalier. L’étude mondiale menée en 2023 par une organisation spécialisée dans l'étude des risques climatiques, XDI, a conclu que 103 hôpitaux français pourront être menacés de fermeture vers la fin du siècle en cas d’augmentation des températures de 4,3 °C.
Mais ce risque n’est pas qu’une question de bâti. Son impact est bien plus large. Prenons les grands incendies estivaux : la fumée provoquée par un feu de forêt peut avoir un effet majeur sur une personne à risque d’AVC ou sur un asthmatique. L’impact de ces prises en charge inopinées sur le système de santé comme la dégradation immédiate de leur état de santé sont préoccupants. C’est d’autant plus inquiétant que l’accès aux soins n’est plus aussi garanti qu’avant au regard de la pénurie médicale. Le système est vulnérable à tous les niveaux.
La majorité des hôpitaux publics ont été construits pendant les Trente glorieuses mais certains établissements, issus des hospices et des dispensaires, sont bien plus vieux. Aucun n’a été pensé en ayant en tête le réchauffement climatique. Faut-il adapter l’existant ou tout reconstruire ?
Face aux vagues de chaleur, aux inondations, aux tempêtes tropicales, on doit investir massivement dans le bâti pour rénover l’existant. Nous n’en prenons pas le chemin, ni au ministère de la Santé, ni à la Transition écologique alors que c’est non négociable, encore une fois pour des questions d’accès et de sécurité des soins. Si on ne commence pas à rénover maintenant, des fermetures d’hôpitaux sont à prévoir car tout cela prend du temps et on ne pourra pas tout rebâtir ou rénover en même temps.
En 2022, la Commission européenne avait estimé que 17 % de l’ancienne région Rhône Alpes et 23 % de la Lorraine étaient en zone inondable. Cela inclut plusieurs hôpitaux !
Mais alors, faut-il carrément revoir le tissu sanitaire, par exemple en délocalisant des hôpitaux côtiers ?
Ça peut être une solution, en effet. La situation réclame une analyse au cas par cas mais aussi une étude de vulnérabilité pour chaque nouvel hôpital construit. Si on se contente de prendre en considération le risque climatique actuel sans projection à 20, 30 et 50 ans, c’est de l’argent public gaspillé.
J’ajoute qu’on peut se préparer, s’adapter aux risques climatiques divers mais on peut aussi agir pour les influencer. Si la température augmente de 1,8 °C d’ici à 2100, 6 % des hôpitaux risquent de fermer. Si elle augmente de 3,6 °C, 8 % risquent de fermer. Autant éviter le pire en baissant nos émissions de GES. Les hôpitaux (ouverts 24 heures sur 24, NDLR) sont concernés au premier chef.
Supposons que je sois une directrice d’hôpital désargentée. Que puis-je faire concrètement pour prendre en compte le risque climatique ?
Vous pouvez essayer d’avoir davantage de moyens humains. Vu que l’impact du risque climatique va s’aggraver, les besoins vont augmenter. Avoir une réserve élargie permet aussi de pallier les vacances de postes en cas de catastrophe climatique. Je pense à cet épisode hivernal, où des soignants bretons n’ont pas pu se rendre sur leur lieu de travail à cause des inondations. L’armée est intervenue mais n’a pas pu transporter à bon port tout le monde.
Vous pouvez aussi vous lancer dans des travaux de rénovation pour protéger de la chaleur les zones sensibles, par exemple les blocs opératoires et les chambres. Il existe des options de financement par appel à projet, ça vaut le coup de se renseigner.
Entre climatisation et système de rafraîchissement, quelle est la meilleure solution pour un hôpital ?
À Oxfam, nous ne sommes pas favorables à la climatisation, qui consomme de l’énergie, produit de la chaleur et la rejette à l’extérieur. Dans une ville, la température peut être 10 °C à 15 °C supérieure à une campagne avoisinante. La climatisation renforce cette différence. L’impact est forcément négatif sur les personnes fragiles, les enfants, les personnes âgées. C’est pourquoi nous privilégions la végétalisation, les brasseurs d’air et les ventilations traversantes.
Mais l’hôpital est un cas à part, et toutes ces solutions sont insuffisantes en cas de canicule. Oui, au regard du risque infectieux, la climatisation n’est pas adéquate. Mais on ne peut pas laisser un patient alité dans une chambre à 40 °C. Faute de mieux, il faut donc climatiser. Et, je le redis, investir dans l’isolation du bâti. Ça peut être par des solutions simples, comme la pose de volets. Toutes les chambres n’en sont pas équipées.
Faut-il revoir le temps de travail des soignants et agents hospitaliers ?
Absolument ! Il est impensable de continuer à travailler comme on le fait aujourd’hui. Commencer plus tôt et faire plus de pauses pendant les journées caniculaires s’avère indispensable. Pour mieux protéger ses salariés, l’hôpital doit adapter le temps de travail au risque climatique. Ça vaut pour les soignants mais aussi pour les employés en cuisine, en blanchisserie, où les machines produisent de fortes chaleurs. Dans ces services, il peut faire jusqu’à 50 °C. S’il fait plus de 40 °C dans les couloirs hospitaliers et à l’extérieur, c’est extrêmement dangereux pour la santé.
Que réclamez-vous aux pouvoirs publics ? Combien de millions ou milliards sont nécessaires pour changer de braquet ?
C’est là que le bât blesse. À notre niveau, c’est très difficile de chiffrer le besoin, c’est pourquoi nous incitons l’État à le faire. Ce qui réclame au préalable un état des lieux global du parc immobilier hospitalier, social et médico-social.
Dans son rapport annuel 2024, la Cour des comptes s’est penchée sur LA protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur [elle y rappelle que les infrastructures hospitalières exigent des températures entre 19 et 22 °C pour des raisons d’hygiène et de sécurité technique, NDLR]. La Cour le confirme : aucune étude nationale n’a été engagée pour connaître la qualité du parc immobilier hospitalier et sa capacité à garantir la résilience d’été. C’est par là qu’il faut commencer, et vite !
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