Sans flonflon, ni trompette, le 7 juillet, l’ARS Pays de la Loire a stoppé d’un coup net la régulation obligatoire de l’accès aux urgences de Laval, Château-Gontier et Mayenne.
Lancé trois mois plus tôt, ce dispositif obligeait les Mayennais en quête de soins à appeler le 15 (sauf urgences vitales et patients précaires et adressage d’un médecin, dentiste ou sage-femme) pour être éventuellement, sur décision du régulateur, soignés dans l’un des trois hôpitaux en question. Objectif affiché : améliorer la lisibilité de l’offre de soins en cessant les fermetures perlées incessantes des urgences du département, faute d’urgentistes pour les faire tourner. Et, surtout, délester à tout prix les services des patients qui n’ont rien à y faire.
L’ARS l’assume aujourd’hui : ce fut un échec. Non seulement ce test a généré une hausse peu digeste de la sollicitation des médecins régulateurs libéraux (+ 43 % d’appels) mais, en plus, cela s’est fait « sans effet notable sur la baisse de la pression dans les services d’urgences », indique l’agence au Quotidien.
Retour à la case départ, ou presque : trois jours avant l’arrêt du dispositif, le ministre de la Santé venait en Mayenne pour distribuer 24 millions d’euros de crédits exceptionnels pour les trois hôpitaux. Histoire de rassurer mais pas forcément de tout réparer.
Trois ans pour sortir de l’ornière
L’exemple mayennais illustre la difficulté des pouvoirs publics, des tutelles, mais aussi des médecins hospitaliers et libéraux à sortir les urgences de l’ornière. L’idée de choisir à la place des patients où ils seront soignés grâce au principe de régulation obligatoire est le dernier outil testé un peu partout sur le territoire pour tenter de remédier au problème.
Expérimentée depuis 2022 de façon temporaire (trois mois renouvelable) pour répondre à des situations de crise, la régulation dite « pérenne de l’accès aux urgences » est entrée dans le droit commun depuis la publication le 27 mars d’un arrêté ad hoc.
Depuis, les ARS peuvent contraindre pendant trois ans l’accès direct aux urgences. Concrètement, le patient qui n’aura pas été adressé par un médecin devra contacter le 15 (ou le service d’accès aux soins ou le 116-117 selon les territoires) pour qu’un régulateur évalue son besoin. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra, le cas échéant, être renvoyé vers les urgences.
Tout cela est possible sous plusieurs conditions, précise le texte réglementaire, dont une concertation avec toutes les parties prenantes en amont, libéraux et CPTS en tête, ainsi qu’une information claire à la population et une évaluation annuelle.
Il faut une offre de soins alternative et structurée pour éviter que le patient refoulé des urgences ne tente de passer par la fenêtre
Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France
Le Dr Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France favorable au dispositif, y ajoute trois « clauses obligatoires », gages de succès : une offre de soins « alternative et structurée pour éviter que le patient refoulé à la porte des urgences ne tente de passer par la fenêtre » ; un service d’accès aux soins fonctionnel ; des ressources suffisantes côté régulation. « Une fois toutes ces cases cochées, il n’y a aucune raison que ça ne marche pas ! », espère l’urgentiste.
Faire tache d’huile
Outre l’exemple mayennais, d’autres départements et établissements ont vu dans la régulation pérenne une opportunité pour désaturer leurs services. Dans les Pays de la Loire, la Loire-Atlantique régule obligatoirement en nocturne depuis le 12 juillet et jusqu’en 2028 cinq services d’urgences, dont ceux, très importants, du CHU et de la clinique privée du Confluent de Nantes ainsi que celui de Saint-Nazaire.
En Normandie, la Manche a été pionnière dès 2022 (en expérimentation dérogatoire), suivie de l’Eure et, plus récemment, du Calvados, qui astreint les habitants à appeler 24 heures sur 24 le 15 depuis le 1er juillet. L’ARS, enthousiaste, a l’intention de faire tache d’huile sur les deux autres départements de la région, l’Orne et la Seine-Maritime.
En Nouvelle Aquitaine, le Lot-et-Garonne et la Dordogne ont mis en place la régulation obligatoire en nocturne uniquement. L’ARS a aussi déployé la contrainte dans les urgences de Niort (Deux-Sèvres), Châtellerault (Vienne) et Dax (Landes), ainsi que pour la filière pédiatrique en Charente-Maritime.
Enfin, dans le Grand Est, Metz, Haguenau et Troyes ont déjà tenté leur chance à titre dérogatoire. Sous l’impulsion de l’influent Marc Noizet, le dossier des urgences de Mulhouse, dont le médecin est le responsable, est à l’étude et pourrait se concrétiser par une régulation pérenne sur 2026-2029, a priori uniquement en nocturne.
Une attractivité retrouvée des services…
S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan stabilisé de ces initiatives, les premiers sons de cloche, ici et là, varient beaucoup. Le principal point positif qui revient porte sur l’attractivité retrouvée des services obligatoirement régulés. « En Lot-et-Garonne, les urgentistes se sont dits satisfaits de la mise en place de la régulation ayant pour conséquence un allègement de la charge de travail à partir de 20 heures, et donc de meilleures conditions de travail », confirme l’ARS Nouvelle-Aquitaine. À Cherbourg, le service, en grande déliquescence il y a trois ans, a retrouvé des couleurs et des urgentistes.
Autre point positif : aucun événement indésirable grave n’a été enregistré pour défaut de prise en charge et les patients adhèrent au bout de quelques mois au dispositif. Dans la Manche, 80 % des habitants se présentaient il y a trois ans de façon spontanée aux urgences. Aujourd’hui, 70 % jouent le jeu de la régulation. Et, à l’échelle nationale, leur représentant France Assos santé n’a pipé mot.
… mais pas assez de médecins régulateurs
Flotte toutefois dans l’air une incertitude. Plusieurs médecins s’interrogent : le jeu en vaut-il la chandelle ? Pour les petits établissements, dont l’activité est déjà faible, n’est-ce pas une sentence de mort qui ne dit pas son nom ? L’ARS Normandie, emballée mais qui a adopté une politique souple sur l’obligation en question – « Nous sommes une tutelle, pas la police », recadre Kevin Lullien, directeur de l’offre de soins –, a constaté une stabilité du nombre de passages aux urgences concernés, voire une légère diminution, mais guère rien de mieux.
L’exemple mayennais a également mis en lumière la problématique des effectifs insuffisants sur la régulation. Côté assistants (ARM), les plannings sont à peu près tenus depuis que le ministère a mis la main à la poche sur la formation. Mais, comme toujours, ça coince côté médecins : les libéraux ont beau être payés pour réguler, les volontaires sont durs à trouver, et les urgentistes se retrouvent souvent à combler les trous dans la raquette. « En Mayenne, des médecins ont abandonné la régulation en service d’accès aux soins [en diurne, NDLR] et par ricochet en permanence des soins parce qu’ils avaient l’impression de devenir des distributeurs automatiques de tickets pour les urgences », déplore le Dr Luc Duquesnel, régulateur mayennais depuis vingt ans et président de la branche généralistes de la CSMF.
« Nous préférons ne pas nous précipiter »
Un autre frein identifié par plusieurs ARS reste le déport des patients gentiment mais fermement refoulés vers des urgences non régulées. Un effet de bord qui interroge sur la pertinence même de cette obligation d’appel à la régulation : pour que ça marche, faut-il en faire une politique nationale ? C’est cet aspect qui gêne en particulier l’ARS Grand Est, qui a pourtant constaté une baisse de 10 % à 20 % du nombre de passages légers dans les trois urgences pilotes de Metz, Haguenau et Troyes.
« La régulation pérenne a le mérite d’éviter que des vigiles à l’entrée des urgences filtrent les patients, ce qui est parfois une réalité, analyse le Dr Romain Hellmann, directeur de la politique médico-soignante et conseiller médical à l’agence du Grand Est. Nous constatons une lame de fond du côté des urgentistes, qui n’en peuvent plus de leurs conditions de travail dégradées. Mais pour l’avoir expérimentée, la régulation obligatoire n’est pas l’alpha et l’oméga. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas de politique de portage régionale. Et que nous préférons ne pas nous précipiter. »
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